L’Ascension « n’est pas la fin de l’histoire », par Mgr Francesco Follo


L’Ascension « n’est pas la fin de l’histoire, mais elle l’ouvre à une fécondité inattendue pour que celle-ci devienne, par la grâce divine et l’action humaine, le sein de la nouvelle vie de communion avec Dieu », explique Mgr Francesco Follo, observateur permanent du Saint-Siège à l’Unesco.


Les apôtres, souligne Mgr Follo, « ne sont pas restés sur la montagne à regarder le ciel mais, obéissant au commandement d’amour du Christ, ils se sont faits témoins de la communion trinitaire qui donne forme et vie à la communion des hommes entre eux, en chemin pour atteindre le ciel».


Voici la méditation de la liturgie de l’Ascension, offerte par Mgr Follo, « avec l’invitation à se rappeler que, comme le Christ est descendu du ciel pour nous, a souffert et est mort sur la croix pour nous, ainsi il est ressuscité pour nous et est retourné vers Dieu, qui n’est donc plus loin».


 


Ascension dans la profondeur du Cœur de Dieu


Rite romain – Année C – 29 mai 2022


Ac 1,1-11 ; Ps 46 ; He 9,24-28 & 10,19-23 ; Lc 24,46-53


 


1 Ascension : élévation, exhaussement, exaltation


Pour célébrer la fête de l’Ascension, la liturgie pour l’année C nous propose le récit de saint Luc qui décrit cet événement avec le verbe « être emporté vers le haut », c’est-à-dire « élevé », par conséquent « exalté ».


En suivant l’enseignement de cet évangéliste, nous comprenons que l’Ascension a un double aspect. Le premier est celui de monter, vers le haut, vers le Père (« il était emporté au ciel »), précisant ainsi que la résurrection de Jésus n’est pas un retour à la vie d’avant, presque un pas en arrière, mais l’entrée dans une condition nouvelle, un pas en avant, dans la gloire de Dieu. Le second est celui du départ : l’Acension est présentée ensuite comme une séparation (« il se sépara d’eux »). Jésus retire sa présence visible, la susbstituant  par une présence nouvelle, invisible, qui est toutefois plus profonde. Il s’agit d’une présence que l’on peut saisir dans la foi, dans l’écoute de la Parole, dans la fraction du pain (c’est-à-dire à la messe) et dans la fraternité.


Comme je l’ai fait observer au début de cette réflexion, saint Luc raconte le fait de l’Ascension en la présentant comme l’ « exaltation » de Jésus (cf. Lc 24,50-53 et Ac 1, 1-11). Cette élévation vers le ciel est, selon moi, étroitement lié à l’élévation du Christ sur la croix, qui devient le trône de son exaltation. Dans les deux cas, le Christ dit une parole de miséricorde, de pardon et de bénédiction.


Dans les deux élévations, il ne s’agit pas de la fin de la relation entre Jésus et ses disciples, et toutes les deux sont source de joie. Certes, la joie provoquée par le Christ « emporté sur » la croix vient après trois jours, tandis que celle d’aujourd’hui est immédiate. Ces deux élévations montrent bien le but rédempteur du Christ : l’amour est vainqueur de la mort, pardonne le péché et ouvre le paradis : le cœur du Père est la demeure du Fils et des fils dans le Fils.


Jésus, le Verbe de Dieu, s’est incarné pour porter Dieu et son amour sur la terre. Cet amour est comme l’aimant qui attire Dieu à l’homme et l’homme à Dieu : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure » (Jn 14,23). Cette « descente » est suivie de la « montée » du Fils de Dieu qui retourne dans la demeure du Père. Avec l’ascension, l’humanité du Christ est transférée dans le cœur de la divinité. « Immergée dans l’être de la divinité, cette humanité prend part aux propriétés de Dieu, comme un fer incandescent participe des propriétés du feu » (H. U. von Balthazar).


De même que l’ascension-élévation du Christ ne fut pas, pour les disciples d’il y a environ deux mille ans, un spectacle, mais un événement dans lequel ils furent eux-mêmes insérés, ainsi, aujourd’hui, pour nous, l’élévation du Christ est un « sursum corda », c’est-à-dire un « élevons notre cœur », un mouvement vers le haut, auquel nous sommes tous appelés. Il s’agit d’un événement qui nous dit que l’être humain peut vraiment vivre quand il est tourné vers le haut. L’être humain est capable de hauteur, et la hauteur qui, seule, correspond à la mesure de l’homme est la hauteur de Dieu lui-même. Et c’est pour cela que l’oraison de la messe de ce jour nous fait prier ainsi : « Accordez-nous, nous vous en supplions, ô Dieu tout-puissant, à nous qui croyons que votre Fils unique, notre Rédempteur, est aujourd’hui monté au ciel, que nous y habitions aussi nous-mêmes en esprit ».


Une fois encore, la liturgie nous situe devant le primat de Dieu. Le pape François a affirmé : « L’ascension de Jésus au ciel nous fait connaître cette réalité si consolante sur notre chemin : dans le Christ, vrai Dieu et vrai homme, notre humanité a été portée auprès de Dieu ; il nous a ouvert le passage ; il est comme un premier de cordée lorsqu’on escalade une montagne, qui est parvenu à la cime et qui nous attire à lui pour nous conduire à Dieu ».


Par conséquent, pour les apôtres et maintenant pour nous, l’ascension est avant tout un regard contemplatif sur l’amour qui unit le Père et le Fils. La phrase de saint Luc dans l’Évangile d’aujourd’hui : « Jésus était emporté au ciel » nous fait fixer notre regard sur cet événement : le Fils retourne vers le Père qui est au ciel. Le ciel est l’ « image » du Père, c’est le lieu de sa maison, de sa présence, de sa communion. Le Fils ressuscité ne peut qu’aller principalement chez le Père. Et nous, fils dans le Fils, nous apprenons que le salut ne consiste pas en notre grandeur ou importance présumée plus grande, mais dans cet exode, dans ce retour d’amour vers le haut, vers Dieu.


2 La mission comme témoignage, c’est-à-dire comme martyre


La tâche des disciples, ceux d’alors comme nous aujourd’hui, ne se réduit pas à regarder le ciel ou à connaître les temps et les moments cachés dans le secret de Dieu. La tâche des disciples jusqu’à la fin des temps est de porter le témoignage du Christ jusqu’aux extrémités de la terre.


Le Fils de Dieu, qui est en communion avec le Père, ne le garde pas jalousement comme son bien propre, mais il l’offre à ses disciples et les invite à en être témoins jusqu’aux extrémités de la terre. L’Ascension n’est pas la fin de l’histoire, mais elle l’ouvre à une fécondité inattendue pour que celle-ci devienne, par la grâce divine et l’action humaine, le sein de la nouvelle vie de communion avec Dieu.


L’Ascension nous annonce que la vraie question ne consiste pas à prolonger l’histoire, mais à monter avec le Christ vers le Père, conscients que chacun de nous « habite non pas là où est son corps, mais là où est son cœur » (saint Augustin d’Hippone).


C’est pourquoi les apôtres ne sont pas restés sur la montagne à regarder le ciel mais, obéissant au commandement d’amour du Christ, ils se sont faits témoins de la communion trinitaire qui donne forme et vie à la communion des hommes entre eux, en chemin pour atteindre le ciel.


N’oublions pas que le témoin (en grec, marturos = martyr) est celui qui est en mesure de faire une déposition, c’est-à-dire de raconter le fait auquel il a assisté en personne. Le milieu originel du témoignage est donc le débat d’un procès. Les apôtres ont personnellement vu les événements de Jésus (« tout ce que [Jésus a fait et enseigné] ») et ils sont donc en mesure d’en témoigner. Le mot « témoin » a cependant élargi sa signification. Il n’indique désormais plus seulement celui qui parle d’un fait auquel il a assisté. Le terme « témoin » est souvent employé pour indiquer une personne qui donne le bon exemple, mais l’Évangile demande d’être témoin en affirmant courageusement ce en quoi l’on croit profondément, prêt à l’affirmer jusqu’au sacrifice de sa propre vie. En ce sens, le véritable témoin est le martyr qui atteste par le don de sa vie la vérité qu’il a rencontrée et aimée.


Le témoin (= martyr) est donc caractérisé par un lien très profond au Christ qui est le martyr par excellence de l’amour et de la vérité : « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37). L’amour est la cause qui a poussé le Rédempteur à donner sa vie (cf. 1 Jn 4,8). Vérité et amour sont inséparables, parce que l’amour ne devient authentique que s’il est vrai.  Et la force de la vérité se manifeste dans l’amour. Cette double dimension est très présente dans le témoignage des martyrs. Le Christ s’est révélé comme la Vérité (cf. Jn 14,6) et cette vérité devient crédible à travers l’amour (cf. Jn 15, 13).


À cet égard, je crois utile de rappeler que si le martyr est le disciple, qui se fait semblable au maître parce qu’il accepte librement la mort pour le salut de ses frères et sœurs en humanité, la virginité peut être considérée comme une forme de martyre. En effet, la virginité consacrée implique de manière ordinaire – non extraordinaire comme dans le martyre du sang – une vie totalement identifiée à l’offrande du Christ, l’Agneau immolé.


La vierge consacrée dans le monde rend témoignage au Christ Seigneur par le don de sa vie quotidiennement renouvelé et vécu dans le travail quotidien, dans et pour le monde. Par sa consécration, la vierge dans le monde dit l’absolu de Dieu dans le fragment d’amour quotidiennement vécu dans la louange à Dieu et dans le service de miséricorde pour les pauvres.


La vierge consacrée offre son corps comme un « ciel » pour le Christ et se fait tabernacle vivant de celui qui a fait le ciel.


La vierge consacrée rend particulièrement vraie cette prière de saint Grégoire de Naziance : « Si je ne t’appartenais, ô mon Christ, je me sentirais une créature limitée. Je suis né et je me sens disparaître. Je mange, je dors, je me repose et je marche, je suis malade et je guéris. La soif et les tourments m’assaillent sans cesse, je jouis du soleil et de tout ce que la terre produit. Ensuite, je meurs et ma chair devient poussière comme celle des animaux, qui n’ont pas péché. Mais moi, qu’ai-je de plus qu’eux ? Rien, sinon Dieu. Si je ne t’appartenais, ô mon Christ, je me sentirais une créature limitée. »


Lecture Patristique


Saint Cyrille d’Alexandrie (370 – 444)


Commentaire sur l’évangile de Jean, 9, sur Jn 14,2-3


PG 74, 182-183.


Dans la maison de mon Père, beaucoup peuvent trouver leur demeure; sinon, est-ce que je vous aurais dit: Je pars vous préparer une place? (Jn 14,2) Si les demeures auprès du Père n’avaient pas été nombreuses, le Seigneur aurait dit qu’il partait en avant-coureur, manifestement afin de préparer les demeures des saints. Mais il savait que beaucoup étaient déjà prêtes et attendaient l’arrivée des amis de Dieu. Il donne donc un autre motif à son départ: préparer la route à notre ascension vers ces places du ciel en frayant un passage, alors qu’auparavant cette route était impraticable pour nous. Car le ciel était absolument fermé aux hommes, et jamais aucun être de chair n’avait pénétré dans ce très saint et très pur domaine des anges.


C’est le Christ qui inaugura pour nous ce chemin vers les hauteurs. En s’offrant lui-même à Dieu le Père comme les prémices de ceux qui dorment dans les tombeaux de la terre, il permit à la chair de monter au ciel, et il fut lui-même le premier homme apparu à ses habitants. Les anges ne connaissaient pas le mystère auguste et grandiose d’une intronisation céleste de la chair. Ils voyaient avec étonnement et admiration cette ascension du Christ. Presque troublés à ce spectacle inconnu, ils s’écriaient: Quel est celui-là qui arrive d’Édom (Is 63,1), c’est-à-dire de la terre? Mais l’Esprit ne permit pas que la milice céleste demeurât dans l’ignorance de cette disposition admirable de la sagesse de Dieu le Père. Il ordonna qu’on ouvrît les portes devant le Roi et Seigneur de l’univers: Princes, ouvrez vos portes, portes éternelles: qu’il entre, le roi de gloire (Ps 23,7 LXX)!


Donc, notre Seigneur Jésus Christ inaugura pour nous cette voie nouvelle et vivante: comme dit saint Paul, il n’est pas entré dans un sanctuaire construit par les hommes, mais dans le ciel lui-même, afin de se tenir maintenant pour nous devant la face de Dieu (He 9,24).


En effet, le Christ n’est pas monté pour se faire voir de Dieu son Père, car il était, il est et il sera toujours dans le Père, sous le regard de celui qui l’engendre, et c’est en lui qu’il se réjouit éternellement. Il monte maintenant, d’une façon étrange et insolite pour un homme, lui, le Verbe qui, à l’origine, n’avait pas revêtu l’humanité. S’il l’a fait, c’est pour nous et en notre faveur, afin que, reconnu comme un homme (Ph 2,7), mais avec la puissance du Fils, et entendant avec sa chair ce décret: Siège à ma droite (Ps 109,1), il puisse, établi lui-même comme Fils, transmettre la gloire de la filiation à tout le genre humain.


Car, puisqu’il est devenu homme, c’est comme l’un de nous qu’il siège à la droite du Père, bien qu’il soit supérieur à toute la création et consubstantiel au Père – il est en effet vraiment venu de lui, puisqu’il est Dieu venu de Dieu et lumière venue de la lumière.


Comme homme, il s’est présenté devant le Père en notre faveur, pour nous rendre capables de nous tenir debout devant la face du Père, alors que l’antique péché nous en avait chassés. Comme Fils, il s’est assis pour que nous-mêmes, à cause de lui, nous puissions être appelés fils de Dieu.


Aussi Paul, persuadé de parler au nom du Christ (cf. 2Co 13,3), enseigne-t-il que tout ce qui a été accordé au Christ est communiqué à l’humanité, puisque Dieu nous a ressuscités avec Jésus Christ et nous a fait asseoir dans les cieux avec lui (Ep 2,6). L’honneur et la gloire de siéger au ciel est propre au Christ, qui est Fils par nature. C’est à lui seul que cela revient et que nous le reconnaissons au sens strict. Il a beau avoir pris notre ressemblance en apparaissant comme un homme: la divinité lui appartient parce qu’il est Dieu, mais il nous transmet mystérieusement le don d’une telle dignité.


 


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