La visite ad limina, par Mgr Eric de Moulins-Beaufort (1/2)


Mgr Eric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France, a fait partie du dernier groupe d’évêques français qui ont effectué leur visite ad limina à Rome du 27 septembre au 2 octobre 2021.


Pour les lectrices et les lecteurs de Zenit, l’archevêque rappelle en quoi consiste une visite ad limina et il évoque certains des thèmes abordés lors des échanges romains, notamment, dans ce premier volet le motu proprio et la question des migrations.


Dans le second volet, publié ensuite, Mgr de Moulins-Beaufort aborde aussi les questions du Rapport de la CIASE sur les abus, de la JMJ de Lisbonne, du synode, et de la solidarité en Eglise, au-delà de l’hexagone.


Mgr Eric de Moulins-Beaufort, quelles sont les caractéristiques de cette visite ad limina, après ces mois de pandémie?


La première caractéristique c’est qu’elle a lieu : elle a été reportée déjà deux fois, donc nous sommes heureux de pouvoir venir. Je pense que c’était aussi le cas des évêques des trois groupes précédents. Et j’ai l’impression qu’on est heureux de nous rencontrer, pas parce que c’est nous, mais parce que tout le monde est heureux de rencontrer à nouveau des visiteurs. Et c’est une visite ad limina où nous trouvons des interlocuteurs qui écoutent, qui ont travaillé, qui ont lu nos rapports, qui connaissent les sujets. Cela permet des échanges assez intéressants.


Comment se présente une journée typique?


La journée commence par la messe, souvent assez tôt, parce que nous allons célébrer dans les basiliques romaines. C’est cela d’ailleurs le sens premier de la visite « ad limina » : d’être un pèlerinage « ad limina apostolorum », c’est-à-dire sur les « seuils », donc aux tombeaux des apôtres. Nous nous rendons là où les apôtres ont confessé la foi dans le Christ ressuscité. Donc il faut partir tôt, vers six heures et demi, sept heures moins le quart. On arrive dans les basiliques qui ouvrent à peine. On a eu la chance qu’il y ait eu une très belle lumière que ce soit à Saint-Paul-hors-les-Murs, à Saint-Jean-de-Latran, à Sainte-Marie-Majeure, et puis demain à Saint-Pierre. C’est très émouvant de célébrer le mystère de notre salut en ces lieux marqués par la mémoire des apôtres.


Ensuite nous allons rejoindre, le plus souvent la Congrégation pour le clergé qui nous prête une grande salle de réunion. Pendant ce temps les congrégations se succèdent d’heure et demi en heure et demi, jusque vers treize heures. Nous rentrons ensuite déjeuner au séminaire français et l’après-midi, vers 15h30 il y a des rencontres, plus facultatives avec deux ou trois congrégations.


Et il est temps de dire les vêpres, de dîner, et de préparer la journée du lendemain.


Certaines rencontres ont été plus marquantes?


C’est très difficile à dire : on a eu de très bonnes rencontres. Par exemple avec le cardinal Ouellet, un théologien, qui nous a parlé avec son cœur. Il nous a aidés à approfondir la nature même de l’Eglise dans ses dimensions hiérarchique et charismatique. On a eu de très bonnes rencontres avec la Congrégation pour les religieux, à la Rote, à la Congrégation pour les Eglises orientales… Chacun à sa manière est intéressant. Les matières sont différentes. Mais ce qui est intéressant c’est de pouvoir exposer ce que nous vivons en France et d’avoir un retour de ce qui se vit dans le vaste monde.  Le sommet, c’est la rencontre avec le Saint-Père. C’est forcément sans comparaison possible.


Des catholiques ont manifesté leur inquiétude après la publication, le 16 juillet, du motu proprio Traditionis custodes : comment comprendre la volonté du pape François? Le Vatican n’a pas publié de traduction en français : faut-il en déduire que ce n’était pas d’abord la situation en France qui était visée?


Notre groupe en a peut-être moins parlé que les groupes précédents, peut-être parce que l’on a su ce qui s’était dit auparavant. Le motu proprio ne concerne pas que la France c’est certain, et la France n’est pas forcément le pays où le sujet pose le plus de problèmes. On a pu en parler notamment avec la Congrégation pour la liturgie et avec la Congrégation pour les religieux. On voit bien que, même ici, tout le monde est un peu au début du travail sur le sujet. Nous attendons de voir ce qui sera mis en œuvre. Nous avons en France dans l’ensemble plutôt encouragé à ce que les choses continuent comme cela a été disposé, sauf nécessité qu’il en soit autrement. On va poursuivre la discussion, l’écoute mutuelle, avec les groupes concernés.


Une situation apaisée en somme et une grande liberté laissée aux évêques ? 


Oui, avec quand même un rappel de l’enjeu ecclésiologique : ce que le pape fait ressortir dans son motu proprio, c’est que dans la concession ou non de la célébration de la messe dans une forme différente de la forme ordinaire, le grand enjeu c’est la compréhension de ce qu’est l’Eglise, son unité, du progrès théologique qui peut s’opérer en elle et de la nature de ce progrès théologique. Une dimension bien claire a été donnée qui permet de ne pas laisser d’ambiguïtés.  Pour être encore plus précis, tout le monde se réfère toujours au discours du pape Benoît XVI à la curie romaine, le 22 décembre 2005. On dit qu’il aurait opposé une herméneutique de la continuité et une herméneutique de la rupture. En fait non, Benoît XVI a parlé d’une herméneutique de la rupture et d’une herméneutique de la réforme dans la continuité de l’unique sujet Eglise. Ce que touche le motu proprio du pape François c’est précisément la continuité de l’unique sujet Eglise qui se déploie à travers le temps et qui passe par des réformes, pas par des ruptures, mais par des réformes quand même. C’est une grave déformation de la pensée de Benoît XVI de changer la dialectique qu’il a proposée, non pas entre la rupture et la continuité, mais entre la rupture et la réforme.


On vient de célébrer la Journée mondiale pour le migrant et le réfugié : autre sujet qui fâche un peu en France. Comment comprendre ces résistances alors que concrètement beaucoup de Français et de catholiques se mobilisent?  


C’est un sujet dont nous avons beaucoup parlé parce que le sujet des migrations est un phénomène historique qu’il faut regarder en face. Et un des avantages du Saint-Siège c’est qu’on le regarde en face, et qu’on n’a pas trop peur. Le pape a eu des paroles très fortes en Hongrie et en Slovaquie : cela vaut la peine que tout le monde lise, médite, regarde ce qu’il a dit. Le pape est un des rares sinon peut être le seul responsable du monde à oser parler de l’immigration en prenant en compte son ampleur historique. C’est-à-dire qu’il ne fait croire à personne que l’on va pouvoir empêcher ce flot : personne n’a jamais empêché la mer d’être la mer. Cela ne veut pas dire qu’il faut ouvrir toutes les digues, mais ne pas rêver que l’on va empêcher la mer d’avancer. Le Pape a le mérite de le dire et d’offrir à travers son encyclique Fratelli tutti en particulier, l’espoir et l’espérance qu’il y a un bien de l’humanité possible, un meilleur de l’humanité possible à travers ce fait de l’immigration. Après, la réaction des Français en général et des catholiques en particulier peut très bien se comprendre. Les Français sont très accueillants et très respectueux des personnes :  quand ils rencontrent une personne, ils sont pleins de compassion pour son histoire, et essayent de mobiliser toute sorte de forces pour aider. Mais ensuite, nous sommes tous écrasés par le flot, par le nombre. Donc il y a un immense contraste entre ce que l’on peut faire à l’échelle individuelle, à l’échelle d’une paroisse, pour accueillir quelques personnes et ce que l’on voit à l’échelle d’un pays. Quand on voit les chiffres énormes des personnes qui se présentent à nos frontières, on se trouve complètement dépassés. J’ai l’impression que depuis que j’ai douze ans j’entends toujours parler du problème des migrations : nous vivons en France avec le sentiment que nous n’arrivons pas à intégrer une partie de ceux qui sont aujourd’hui la population française, en particulier toutes les familles venues du Maghreb. On a fait venir les hommes pour faire de la force de travail, jusqu’en 1974. En 1974, on a enfin consenti au regroupement familial. Je pense qu’on n’a pas pris les moyens nécessaires pour faire réussir ce regroupement familial. Ensuite il y a d’autres aspects qu’il faudrait développer. Notre relation très particulière à l’Algérie… Mais cela fait que nous, Français, avons toujours l’impression qu’il y a des personnes qui habitent chez nous, qui sont des citoyens français, mais que nous n’arrivons pas à faire tranquillement un seul peuple. Et quand on voir arriver d’autres gens de l’extérieur on se dit qu’on n’y arrivera jamais : on n’arrive déjà pas à intégrer, à accueillir, à faire un seul peuple avec ceux qui sont déjà là… Comment va-t-on faire avec ces centaines de milliers qui se présentent chaque année. Les chiffres sont considérables. De fait, je ne prétends pas avoir la solution au problème. Mais je crois que le Pape rend un grand service à l’humanité en nous obligeant à ne pas être dans le rêve que cela pourrait ne pas avoir lieu. Après, cela a été souligné par un des dicastères, le Pape précise de plus en plus qu’il y a des conditions d’intégration, que le mieux c’est que les gens restent chez eux évidemment. Il faut être conscient que le changement climatique, quel qu’en soit la cause, fait que certaines populations ne pourront plus vivre sur leurs terres ancestrales : ils vont fatalement chercher à vivre ailleurs. C’est leur droit humain le plus strict.  On ne peut pas les empêcher de chercher à vivre mieux.


Vous avez parlé d’intégration, c’est peut-être une notion sur laquelle le pape insiste et que l’on ne souligne pas assez ?


Peut-être. Il faut des politiques plus déterminées. Je ne sais pas si l’on prend tous les moyens nécessaires pour rendre possible cette intégration. Nos politiques, parce qu’ils sentent l’opinion publique, craignent un effet « d’appel d’air » et freinent les mesures dans ce sens. Pendant ce temps, des gens vivent dans des conditions qui ne sont pas très dignes. Pour ma part j’estime qu’on devrait autoriser le travail des personnes migrantes, quel que soit leur statut, quitte à accepter des travaux relativement précaires, de peu de durée. Parce qu’en France ou l’on n’a pas de travail ou c’est tout de suite un CDI ou un CDD très protégé. Tout devient très compliqué. Pour ma part, j’estime – je le dis d’ailleurs aux responsables politiques que je rencontre – qu’il faudrait changer cette règle parce qu’il vaudrait mieux que ces personnes qui arrivent chez nous, pleines de force, pleines de désir de faire n’importe quoi pour vivre chez nous, puissent participer à la vie locale, qu’elles puissent gagner par elles-mêmes un peu d’argent. Tandis que pour le moment, on leur donne des aides, jusqu’au jour où l’on n’en donne plus et où elles se retrouvent dépendantes de la charité publique. Et puis elles perdent de leur force, elles perdent de leur énergie, elles perdent de leur confiance. Elles perdent de leurs espoirs, de leur espérance. Elles restent chez nous, mais on a perdu toute l’énergie positive qu’il pouvait y avoir.


(à suivre)


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