La vocation du journalisme catholique


Dans le contexte d’un retentissement anxiogène de l’actualité dans les moyens de communication sociale, Zenit se pose la question : Quelle « nouvelle » un média d’information catholique doit-il annoncer ? En partant de la Bonne nouvelle du salut, le père Michel Viot renvoie le lecteur au décret Inter Mirifica du concile Vatican II.


 


Aux sources du salut


Dieu, pour les juifs, comme pour les chrétiens, se révèle de plusieurs façons, dans sa création, dans l’histoire et la vie des hommes, et plus particulièrement et excellemment dans la vie de son Peuple. Son histoire a d’ailleurs pu être appelée histoire du salut, et la révélation de la volonté divine s’est alors concentrée sur des hommes, les prophètes, sans pour autant cesser de se manifester au travers de la vie du peuple juif, élu de Dieu.


L’exil de la Terre Sainte – de 587 à 539 av. JC en gros, car la Bible parle de 70 ans – la rencontre avec la culture grecque, conséquence des guerres d’Alexandre, ont « rétréci » la révélation en la spiritualisant et enrichi par l’apport grec de la notion d’âme immortelle : une sorte de terme-accomplissement s’est alors dessiné chez les prophètes dans le messianisme. Mais l’idée même qu’on en retînt fut rapidement facteur de division, bien avant la venue de Jésus, et cela principalement selon la manière dont on acceptait ou non l’apport des Juifs hellénisés dans la révélation. Par exemple, le livre de la Sagesse (50 av. JC) fait partie de la Bible grecque (Septante), mais est exclu de la Bible hébraïque. Il croit en la vie après la mort !


Jésus en son temps apparaîtra avec ses disciples, comme un parti supplémentaire contestant le vieil intégrisme juif des prêtres, et ce, à la suite des pharisiens et de bien d’autres. L’information sur ce que Dieu avait dit ou non fut au cœur des débats. Même chose pour ceux qui se querellaient sur ces questions : qu’enseignaient-ils vraiment, que faisaient-ils ?


Dans les années qui suivirent la destruction du Temple de Jérusalem, 70 ap. JC fut une date bien plus importante pour les « journalistes » de ce temps que les dates exactes de la naissance et de la mort de Jésus de Nazareth, car elle marquait la fin d’une guerre ; le christianisme apparaissait encore comme une secte juive, les chrétiens de Jérusalem avaient continué à fréquenter le sanctuaire, même les synagogues, bien qu’on commençât à les en chasser ! Mais avec les pharisiens, ils demeuraient les seuls représentants de l’ancienne religion juive. Et l’opposition religieuse se durcit alors entre eux, d’autant plus qu’ils demeuraient seuls en lice !


C’est sans doute une des raisons qui pousse l’évangéliste saint Luc, qui écrit après 70 à partir de témoignages antérieurs bien sûr, à commencer son évangile en précisant qu’il s’est « soigneusement informé » (ch. 1 v. 3), mettant en quelque sorte son écrit en concurrence avec d’autres, « beaucoup » précise-t-il. Relisez attentivement sa dédicace à Théophile (Luc 1, 1 à 4). La chasse aux infos justes était ouverte, bien qu’un évangile constitue un genre littéraire à lui tout seul, et ne puisse être assimilé à un reportage ou une biographie.


Au deuxième siècle en tout cas, quand l’Église devra fixer le canon des Écritures, pour le Nouveau Testament elle ne retiendra que quatre évangiles, sur près d’une dizaine, avec comme seul critère l’origine apostolique directe ou indirecte du texte. On retrouve l’exigence de vérité du 8e commandement, illustrée par la référence à l’apôtre, témoin oculaire : « Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain. » (CEC 2504) L’évangélisation qui n’avait pas attendu cet événement pour commencer a pu s’amplifier et s’affermir dans la catéchèse et l’homélie. La quête d’informations sur les vérités de la Parole de Dieu fait donc partie de l’émergence du christianisme et de sa propagation.


Une compréhension ecclésiale de l’actualité


Certains grands moments de l’histoire de l’Église coïncident d’ailleurs avec des changements importants dans les moyens de communication. Nous aurons l’occasion d’y revenir. Mais il semble bon de faire partir notre réflexion d’un texte du Concile Vatican II sur cette question, daté de 1963, période durant laquelle, la télévision grandissait en même temps que l’audience de la radio et des journaux s’accroissaient. Ce Concile qui s’est voulu complémentaire de Vatican I, inachevé à cause de la guerre franco-prussienne, il ne faut jamais l’oublier, voulut aussi et surtout être un Concile pastoral. Je crois que les papes de cette époque, comme quelques pères conciliaires ont eu l’intuition de la déchristianisation commençante depuis 1960, ce dont nous avons la certitude aujourd’hui (voir l’excellent livre de Guillaume Cuchet « Comment notre monde a cessé d’être chrétien » Editions du Seuil, 2018). Aussi est-il intéressant de se reporter au texte que signa le pape Paul VI le 4 décembre 1963, avec les autres pères, Inter mirifica  – « Parmi les merveilleuses découvertes » – décret sur les moyens de communication sociale. Voici comment le problème y est posé : « L’Église sait que ces instruments (de communication), quand ils sont utilisés correctement, rendent de grands services au genre humain… Mais elle sait aussi que les hommes peuvent les utiliser à l’encontre du Créateur et les tourner à leur propre perte. » (IM, 1) L’Église entend donc, à la fois sauver les moyens modernes de communication pour qu’ils ne se pervertissent pas eux-mêmes (car ils sont humains et menacés par le péché) et qu’ils puissent contribuer à l’annonce du salut au monde d’aujourd’hui. Le Concile fait ainsi de l’information un devoir d’Église qui doit pousser à utiliser les techniques les plus modernes pour viser un maximum d’efficacité.


Deux choses sont à remarquer : le Saint Siège lui-même avait donné l’exemple en 1929 après la signature des accords de Latran, en consacrant sa première grosse dépense à partir de l’argent reçu du gouvernement italien, à la mise en place de Radio-Vatican qui joua un rôle capital pour diffuser la pensée du Saint-Père, très particulièrement pendant la guerre où Pie XII put y faire subtilement entendre sa voix. Une deuxième remarque concerne l’appel aux laïcs qui doivent y agir « principalement ». Ce vœu implique une formation, que confirment d’ailleurs les lignes qui suivent et qui se réfèrent à la loi morale. On appréciera cette référence à 1 Corinthiens 8,1b qui complète le constat, oh combien vrai : « … la connaissance rend orgueilleux, tandis que l’amour fait œuvre constructive. »


La spécificité de ce que doit être la presse catholique se trouve, semble-t-il, ici décrite. N’imaginons pas qu’il s’agit ici de prôner, d’une manière camouflée, une quelconque censure. La multiplicité des médias, comme celle des événements qui se produisent dans le monde, oblige à des choix. Si, comme le veut le Concile, l’information catholique fait partie du ministère de l’Église, elle doit s’attacher, plus que d’autres à certains événements, et les commenter. Il y a des faits qui n’appellent pas de commentaires dans une information qui se veut au service de l’annonce de la Bonne Nouvelle. On peut les mentionner éventuellement. D’autres médias commenteront…


Inter mirifica 6 : Art et morale


Le texte, après avoir énoncé quelques principes qui découlent de sa référence à la loi morale, énumère ensuite les devoirs des différents acteurs de l’information. Il faut lire attentivement tout ce passage, tant ce qui y est énoncé a été aujourd’hui oublié. Prenons le point 6 par exemple « Art et morale » qui traite de l’interférence entre « les droits de l’art » et les lois morales. Le Concile « proclame que la primauté de l’ordre moral objectif s’impose absolument à tout le monde ». Et sur la description du mal moral, sans la proscrire, le Concile exhorte à se conformer à la morale et à la prudence « surtout quand il s’agit de thèmes qui exigent une certaine réserve ou qui éveillent plus facilement des désirs mauvais chez l’homme blessé par le péché originel. »


En octobre 2011 se jouait sur un théâtre parisien le spectacle de Roméo Castelluci « Sur le concept du visage du fils de Dieu ». Un vieil homme malade et son fils se trouvent devant un portrait géant du Christ. Des enfants le bombardent de grenades qui le laissent intact. Dans le même temps le vieux père est pris de diarrhées, sont fils le nettoie, mais l’image du Christ commence à se ternir, devenir noire même, ne laissant plus apparaître que ces mots « Tu es mon berger ». On devine la polémique qu’a soulevée cette affaire. L’auteur évoquera la liberté artistique et se risquera même à une explication théologique, expliquant qu’il est passé de la scatologie à l’eschatologie, il comparera l’incontinence du père à l’abaissement du Verbe de Dieu dans l’incarnation, il utilisera même les excréments comme métaphores du martyr… Des journaux catholiques approuveront cela. Des mouvements catholiques intégristes, entraîneront d’autres catholiques à manifester, au grand damn de certaines autorités ecclésiastiques.


En cette même période, de 2010 à 2011, était exposée en Avignon une œuvre de Serrano, « Immersion », qui s’appellera vite « Piss Christ », l’artiste ayant expliqué que le crucifix ainsi photographié était plongé dans un mélange de son urine et de son sang. Là encore, polémique, explications théologiques du message de l’œuvre, la presse catholique « officielle » acceptant cette liberté artistique ! Et du 8 au 17 décembre 2011, ce sera Golgotha Picnic. En gros, on se sert de la crucifixion pour dénoncer la société de consommation, le Christ qui y parle est despotique et n’a rien à voir avec celui des évangiles, et les symboles de la Passion étrangement mélangés.


Ministère prophétique de l’Église


Grâce à monseigneur Vingt-Trois, à l’époque archevêque de Paris et président de la conférence des évêques de France, son porte-parole monseigneur Bernard Podvin, et monseigneur Éric de Moulins Beaufort, alors évêque auxiliaire de Paris, l’Église catholique en France sut exprimer sa tristesse devant ces manifestations peu sympathiques, sans pour autant tomber dans l’exagération qui pouvait mener aux pires violences. Au cours de la veillée de prières à Notre-Dame de Paris où je me trouvais avec mes confrères du Saint Sépulcre pour présenter à la vénération des fidèles les reliques de Golgotha, avec la précieuse couronne d’épines, le cardinal archevêque de Paris avait prononcé une homélie magistrale rappelant les principes d’expression artistique selon le texte du Concile sur lequel nous réfléchissons et exhortant à la prière et à un plus d’amour et de reconnaissance pour le sacrifice de la croix.


Cependant, les voix catholiques ecclésiastiques qui se sont élevées, n’ont pas parlé de sacrilège ou de blasphème, et elles ont eu raison, parce qu’elles s’élevaient dans un espace public particulier, la France, pays laïc. L’attention des pouvoirs publics a été attirée sur le fait qu’il n’était moralement pas bon de blesser de nombreuses consciences humaines dans ce qu’elles avaient de plus cher. Cela était contraire à la morale naturelle qui nous apprend à respecter l’autre, frère en humanité. Ce n’est que par ce respect que le « vivre ensemble est possible ».


Donc, et nous revenons à « Art et morale » et aux développements qui suivent ce point, la liberté artistique a des limites, la morale, le respect d’autrui et l’ordre public. On l’oubliera en 2006 avec les caricatures de Mahomet. Et nous savons tous ce qui s’est passé en 2015 et par la suite. Nous devons aussi nous souvenir que huit millions de français sont aujourd’hui musulmans. Il est temps pour tous de nous demander quel avenir nous souhaitons, et d’agir avec raison et pragmatisme, loin des idéologies fanatiques. Le texte conciliaire de 1963 nous donne de précieux éléments pour cela.


Dans un deuxième chapitre, le décret se propose de détailler l’action pastorale de l’Église. C’est sage, parce que cela permet d’entrer dans des conséquences pratiques, après avoir rappelé les principes fondamentaux.


Dans le point 13 « Action des pasteurs et des fidèles », une recommandation concerne particulièrement les pasteurs. « Ils auront à cœur de prévenir les initiatives mauvaises, surtout là où l’évolution morale et religieuse réclame leur intervention de manière plus urgente. » Ainsi est illustré notre vieux proverbe « Mieux vaut prévenir que guérir », dont la justesse peut être vérifiée dans beaucoup de domaines, surtout dans celui de l’information.


Père Michel Viot


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