Le pape François invite les jeunes à mener « une guerre intérieure »


Contre « l’absurdité de la course aux armements et de leur utilisation pour résoudre les conflits », le pape François recommande une « meilleure politique », qui suppose une « éducation à la paix ». Faire la guerre, oui, affirme-t-il, « mais une autre guerre, une guerre intérieure, une guerre contre soi-même pour travailler à la paix » et dont la responsabilité incombe à chacun.


Le pape François a reçu en audience les jeunes du « Projet Policoro », de la Conférence des épiscopale italienne, samedi 18 mars 2023, dans la Salle Clémentine du Palais apostolique. Il s’est félicité de leur engagement à se former pour le « service de la société et de la politique », afin de pouvoir, à leur tour, « collaborer à la formation d’autres jeunes ». En politique, a souligné le pape, « ce sont les personnes qui font la différence ».


Lancée par les évêques d’Italie, en 1995, l’initiative « Projet Policoro » cherche à lutter concrètement contre le problème du chômage des jeunes dans une optique de subsidiarité, de solidarité et de légalité, conformément aux principes de la doctrine sociale de l’Église.


Le pontife a dénoncé la politique, illustrée par le récit biblique du roi Achaz et de la vigne de Naboth, qui consiste à « se faire une place en éliminant les autres », qui ne recherche pas « le bien commun mais des intérêts particuliers », par « tous les moyens ». Il a donné en exemple le patriarche Joseph, « artisan de paix » qui cherche l’intérêt « du peuple », « paie de sa personne » et tisse « des relations capables de transformer la société ».


François a conclu en exhortant les jeunes à ne pas se préoccuper du « consensus électoral » ou de leur « succès personnel », mais à « impliquer les personnes », « générer un esprit d’entreprise », « faire fleurir les rêves » et faire découvrir « la beauté d’appartenir à une communauté ». La participation, a-t-il insisté, est « le baume sur les blessures de la démocratie ».


 


Discours du pape François


Cher Monseigneur Baturi, chers jeunes, bienvenue !


Je vous remercie de vos salutations. Cette rencontre me donne l’occasion d’encourager le parcours de formation sociopolitique qui donne une continuité au « Projet Policoro » de l’Église italienne. J’aime souligner que la nécessité de ce parcours est venue de la base, de votre besoin de vous former au service de la société et de la politique, afin de pouvoir, à votre tour, collaborer à la formation d’autres jeunes.


Cette année, vous avez choisi le thème de la paix. C’est un thème qui ne peut pas être absent de la formation sociopolitique et qui, malheureusement, est aussi urgent en raison de la situation actuelle. La guerre est l’échec de la politique. Il faut le souligner : la guerre est l’échec de la politique. Elle se nourrit du poison qui considère l’autre comme un ennemi. La guerre nous fait prendre conscience de l’absurdité de la course aux armements et de leur utilisation pour résoudre les conflits. Un technicien m’a dit que si l’on ne fabriquait pas d’armes pendant un an, la faim dans le monde pourrait être éliminée. Il faut donc une « meilleure politique » (cf. Encyclique Fratelli tutti, chapitre 5), qui suppose précisément ce que vous faites, c’est-à-dire une éducation à la paix. C’est la responsabilité de tous. Faire la guerre, mais une autre guerre, une guerre intérieure, une guerre contre soi-même pour travailler à la paix.


Aujourd’hui, la politique n’a pas bonne presse, surtout auprès des jeunes, parce qu’ils voient des scandales, toutes ces choses que nous connaissons tous. Les causes sont multiples, mais comment ne pas penser à la corruption, à l’inefficacité, à l’éloignement de la vie des gens ? C’est précisément la raison pour laquelle nous avons encore davantage besoin d’une bonne politique. Et ce sont les personnes qui font la différence. Nous le voyons dans les administrations locales : il y a une différence entre un maire ou un conseiller disponible et quelqu’un d’inaccessible ; entre une politique à l’écoute de la réalité, à l’écoute des pauvres, et une politique enfermée dans les palais, une politique « distillée ».


L’épisode biblique du roi Achab et de la vigne de Naboth me vient à l’esprit. Le roi veut prendre possession de la vigne de Naboth pour agrandir son jardin, mais Naboth ne veut pas et ne peut pas la vendre, car cette vigne est l’héritage de ses pères. Le roi se met en colère et « boude », comme un enfant gâté. Alors sa femme, la reine Jézabel – qui est un petit diable ! – résout le problème en faisant éliminer Naboth sur une fausse accusation. Naboth est donc tué et le roi s’empare de sa vigne. Achab représente la pire des politiques, celle qui consiste à se mettre en avant et à se faire une place en éliminant les autres, celle qui ne recherche pas le bien commun mais des intérêts particuliers et qui utilise tous les moyens pour les satisfaire. Achab n’est pas un père, c’est un maître, et son règne est une domination.


Saint Ambroise a écrit un petit livre sur cette histoire biblique, intitulé La vigne de Naboth. À un moment donné, s’adressant aux puissants, Ambroise écrit : « Pourquoi chassez-vous ceux qui ont droit aux biens de la nature et revendiquez-vous pour vous seuls la possession des biens naturels ? La terre a été créée en communion pour tous, les riches et les pauvres. […] La nature ne sait pas ce que sont les riches, elle qui nous a tous engendrés également pauvres. Lorsque nous naissons, nous n’avons pas de vêtements, nous ne venons pas au monde chargés d’or et d’argent. Cette terre nous met au monde nus, avec le besoin de manger, de nous vêtir et de boire. La nature […] nous crée tous égaux et nous enferme tous également dans le ventre d’un tombeau » (1:2). Ce petit mais précieux ouvrage de saint Ambroise sera utile à votre formation. La politique qui exerce le pouvoir comme une domination et non comme un service est incapable de se soucier des autres, elle piétine les pauvres, exploite la terre et traite les conflits par la guerre, elle ne sait pas dialoguer.


Comme exemple biblique positif, nous pouvons prendre la figure de Joseph, le fils de Jacob. Souvenez-vous qu’il est vendu comme esclave par ses frères, qui le jalousaient, et qu’il est emmené en Égypte. Là, après quelques vicissitudes, il est libéré, il entre au service de Pharaon et devient une sorte de vice-roi. Joseph ne se comporte pas comme un maître, mais comme un père : il prend soin du pays ; lorsque la famine survient, il organise les réserves de grain pour le bien commun, à tel point que Pharaon dit au peuple : « Faites ce que [Joseph] vous dira » ( Gn 41, 55) – c’est la même phrase que Marie dira aux serviteurs lors des noces de Cana en parlant de Jésus -. Joseph, qui a subi personnellement des injustices, ne cherche pas son propre intérêt mais celui du peuple, il paie de sa personne pour le bien commun, il devient un artisan de paix et tisse des relations capables de transformer la société. Don Lorenzo Milani a écrit : « Le problème des autres est le même que le mien. En sortir tous ensemble, c’est de la politique. En sortir seul, c’est de l’avarice » (1). C’est ainsi, c’est simple.


Ces deux exemples bibliques, l’un négatif, l’autre positif, nous aident à comprendre ce que la spiritualité peut apporter à la politique. Je ne retiendrai que deux aspects : la tendresse et la fécondité. La tendresse « est l’amour qui se fait proche et se concrétise. (…) C’est le chemin des hommes et des femmes les plus forts et les plus courageux. Dans l’activité politique, les plus petits, les plus faibles, les plus pauvres doivent susciter notre tendresse : ils ont le “droit“ de prendre nos âmes et nos cœurs » (Enc. Fratelli tutti, 194). La fécondité est faite de partage, de vision à long terme, de dialogue, de confiance, de compréhension, d’écoute, de temps consacré, de réponses rapides et non différées. C’est se tourner vers l’avenir et investir dans les générations futures, initier des processus plutôt qu’occuper l’espace. C’est la règle d’or : ton activité doit-elle occuper un espace pour toi ? Non. Pour ton groupe ? Non. N’occupez pas l’espace, lancez des processus. Le temps est supérieur à l’espace.


Chers amis, je voudrais conclure en vous proposant les questions que tout bon politicien devrait se poser : « Quel amour ai-je mis dans mon travail ? En quoi ai-je fait progresser le peuple ? Quelle empreinte ai-je laissée dans la vie de la société ? Quels liens réels ai-je tissés ? Quelles forces positives ai-je libérées ? Quelle paix sociale ai-je semée ? Qu’ai-je produit à la place qui m’a été confiée ? » (ibid., 197). Votre préoccupation ne doit pas être le consensus électoral ou le succès personnel, mais d’impliquer les personnes, de générer un esprit d’entreprise, de faire fleurir les rêves, de faire sentir aux gens la beauté d’appartenir à une communauté. La participation est le baume sur les blessures de la démocratie. Je vous exhorte à apporter votre contribution, à participer et à inviter vos pairs à le faire, toujours avec l’objectif et le style du service. Un homme politique est un serviteur ; quand un homme politique n’est pas un serviteur, c’est un mauvais homme politique.


Je vous remercie pour votre engagement. Allez de l’avant et que la Vierge Marie vous accompagne. Je vous bénis de tout cœur et je vous demande de prier pour moi. Merci.


(1) Lettera a una professoressa, Florence 1994, 14.


© Traduction de Zenit


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